Et l'éthique dans tout ça ?
Rabelais écrivait dans la lettre de Pantagruel à son fils en 1532 : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". L'opposition entre la "science" et la "conscience" a donc débuté bien avant la question du clonage. Même si l'on
parvenait à s'affranchir des obstacles scientifiques au clonage humain
et donc à donner naissance à des clones humains viables, il se poserait
dans tous les cas de nombreux problèmes d'ordre éthique.
1. Le statut de l'embryon
De
nos jours, la génétique fonde beaucoup d'espoirs thérapeutiques dans la
manipulation des cellules embryonnaires humaines qui pourraient
permettre de soigner certaines maladies jugées incurables. Mais peut-on
se servir de l'embryon humain comme d'un instrument ? Décryptage.
Une
question essentielle se pose : à partir de quel moment peut-on le
considérer comme un individu ? Aucun indice biologique ne permet
d'affirmer clairement, entre la fécondation et la naissance, quand
débute la vie. En France, bien que l'avortement soit autorisé dès la
12ème semaine, on témoigne autant de respect au fœtus mort qu'à un
homme mort. Il est en effet possible de prélever ses organes à des
buts thérapeutiques, pour des greffes par exemple, ou de recherche
comme cela est autorisé pour tout être humain vivant. Le comité
consultatif national d'éthique (CNNE) a interdit d'utiliser ces tissus
à d'autres fins. Certains pensent que dès le stade cellule-œuf la vie
est présente, l'embryon est donc humain. D'autres estiment que l'on
peut considérer l'embryon comme un être humain dès la 3ème semaine de
développement au moment de l'apparition d'une structure embryonnaire
particulière (on parle de "ligne primitive"). D'autres encore jugent
que c'est au 3ème mois, au moment de la transition entre embryon et
fœtus, que l'embryon est un individu à part entière.
Cette
question du statut de l'embryon fait polémique, et c'est ce qui
détermine la prise de position sur le clonage thérapeutique. Pour ceux
qui pensent que la vie d'un être humain débute dès l'embryon, sa
destruction dans le but d'obtenir des cellules souches embryonnaires
est un crime. Le doute est donc permis quand à notre droit
d'instrumentaliser ainsi l'embryon.
2. Les dérives possibles
Une question philosophique essentielle se pose : est-ce bien moral de façonner un être selon sa propre volonté ? On
peut aisément envisager les terribles dérives qu'offre par une telle
perspective. Il serait alors possible de choisir la couleur des yeux
d'un enfant, sa couleur de peau, son sexe évidemment... Ses
caractéristiques génétiques, qui sont censées être le fruit du hasard
dans la reproduction sexuée, seraient alors prédéterminées. Le clone
deviendrait une nouvelle sorte d'esclave car on déciderait tout à sa
place. On pourrait concevoir des individus "sur mesure", privés de
leur libre-arbitre. Le clonage pourrait mettre en œuvre une volonté
d'amélioration de l'espèce humaine : l'eugénisme, comme l'a auparavant
tenté Adolf Hitler. On aurait la possibilité de cloner des personnes
particulièrement intelligentes, ou possédant des capacités physiques
exceptionnelles.
De plus, le clonage, et surtout reproductif, brise les liens de parentés
de façon radicale. En effet, en théorie, le clone pourrait avoir cinq
mères : la mère donneuse de noyau (celle sur laquelle on prélève les
cellules), la mère "cytoplasmique" (ce qui créerait une nouvelle notion
de parenté), la mère porteuse, (la femme enceinte), la mère génétique
(mère de la personne qui a donné le noyau, c'est-à-dire la grand-mère)
et la mère qui élève le nouveau-né. Quant au père, si le donneur de
noyau est un homme, ne pourrait-il pas être considéré comme son frère
jumeau ?
La rupture du lien familial ne réside pas tant dans le
fait d'avoir plusieurs pères ou mères, car cette situation existe déjà
dans le cas de l'adoption ou de la fécondation artificielle par don de
sperme, mais plutôt dans celui de ne plus pouvoir définir le lien de
parenté. En effet, un clone ne pourrait être considéré ni comme le
fils, ni comme le frère du donneur, ni comme le donneur lui-même. Cela
mènerait à un véritable bouleversement de la hiérarchie familiale.
Des faits nouveaux inquiétants apparaissent. Pour subvenir aux besoins d'organes d'un enfant unique souffrant de leucémie (qui allait mourir faute de trouver un donneur de moelle compatible), des parents ont conçu un autre enfant en espérant que ce dernier puisse le sauver. Le bébé est alors attendu non pas pour lui-même mais comme un "objet thérapeutique". Cette "fabrication" d'enfant prothèse constitue une démarche contestable sur le plan moral : l'individu est prévu dans le but d'être exploité. À l'extrême, on peut imaginer que chacun puisse recourir dans un avenir lointain à la réalisation de clones. Ces individus, de vrais "sous-hommes", constitueraient "des réservoirs d'organes ou d'autres pièces détachées".
Enfin, le dernier problème posé par le clonage est l'aspect entièrement asexué de ce mode de reproduction. Même si, de nos
jours, acte sexuel et procréation ne sont plus forcément associés, avec la fécondation in-vitro par exemple, il est possible d'avoir des enfants sans relation sexuelle mais pas sans accouplement de gamètes. Or, dans la création d'un clone, à la disparition de l'acte sexuel s'ajoute celle de la fusion de gamètes.
Mais peut-on pour autant y voir un interdit moral uniquement parce que ces pratiques vont à l'encontre de la nature ?
Si au contraire le clonage était amené à devenir l'unique mode de reproduction de l'Homme,
la destruction progressive de notre espèce serait à prévoir. On
pourrait même envisager, à l'extrême, une société composée uniquement
de femmes : donneuses de noyaux, de cytoplasmes, et femmes porteuses.
Vision surréaliste d'un monde duquel l'homme serait exclu...
Le
clonage constituerait donc une énorme régression dans l'évolution du
monde vivant, en effet, le plus grand saut de cette même évolution fut de passer d'un état non sexué (qui est celui de la bactérie depuis
plus de trois milliards d'années) à un état sexué.
3. Religions et sectes
Le clonage est un sujet délicat sur lequel les avis divergent. La religion a son point de vue sur la question et prend une dimension croissante même si son influence dans les mœurs n'est pas aussi grande qu'autrefois.
Tout
d'abord, l'Église catholique est formellement opposée à tout type de
clonage et aux recherches sur l'embryon. Selon elle, la vie de l'Homme
débute par l'embryon. Il est donc inacceptable de porter atteinte à sa
vie et à son intégrité. Le judaïsme est pour le clonage en cas de
stérilité du couple. Le bouddhisme l'admet tant que le programme
génétique n'est pas modifié. Le protestantisme et l'islam, quant à eux,
ont une position réticente mais pas totalement opposée, dans le sens où
le clonage pourrait être bénéfique au niveau thérapeutique.
Voici un tableau récapitulatif de la position des différentes religions :
Clonage thérapeutique | Clonage reproductif | Statut de l'embryon | Recherches sur l'embryon | |
---|---|---|---|---|
Catholicisme | CONTRE |
CONTRE | La vie humaine commence dès la fécondation. | CONTRE |
Judaïsme | POUR |
POUR | Embryon devient vie humaine à partir de 40 jours. | POUR |
Bouddhisme | CONTRE |
POUR | Le bouddhisme conçoit le monde sans commencement. | POUR |
Protestantisme | POUR |
CONTRE | Le statut d'être humain s'acquiert. | POUR si très encadrées |
Orthodoxes | CONTRE |
CONTRE | L'embryon est une âme vivante. | CONTRE |
Islam | CONTRE |
CONTRE |
La vie commence dès la fécondation, la créature humaine ne reçoit pas l'esprit divin avant le 120ème jour de gestation. | CONTRE |
Cloner le Christ ?
Ressusciter
le christ à partir de fragments de son ADN : aujourd'hui certains ne
réfutent pas cette thèse, pourtant trop d'obstacles la rendent
techniquement impossible.
Actuellement, des généticiens
s'activent à déchiffrer l'ADN de Jésus, cependant ce dernier ne
ressuscitera jamais au fond d'une éprouvette. Cette fiction n'a pas
lieu d'être élevée au rang scientifique : cloner le Christ est un
parcours qui s'avère techniquement jonché d'obstacles. Cela nécessite
de récolter son patrimoine génétique contenu dans le noyau d'une de ses
cellules sous la forme d'un long brin d'ADN. Ne disposant pas de la
dépouille du sujet on ne peut compter que sur ses reliques comme
sources potentielles de matières premières. Cloner Jésus à partir de
son ADN récupéré sur des reliques telles que le linceul de Turin, le
suaire d'Oviedo ou sur la tunique d'Argenteuil (supposée une des
reliques du Christ) n'a aucune chance d'aboutir dans les obstacles sont
nombreux. À commencer par l'origine même de ces reliques, puisqu'elles
sont toutes postérieures de plusieurs siècles à la mort de Jésus. On ne
dispose donc d'aucun objet lui ayant appartenu. Un sacré obstacle au
clonage !
Comment trouver des restes biologiques ?
Il faudrait pouvoir récupérer des cellules de Jésus notamment via des
tâches de sang sur les reliques sacrées. Mais aucune observation fiable
des reliques n'a à ce jour conclu à la moindre trace de sang.
Comment isoler le seul ADN du Christ ?
De par leur histoire, ces reliques sont forcément contaminées par de
l'ADN bactérien, de champignons, de pollens, ou de personnes les ayant
manipulées.
Comment disposer d'ADN en bon état ?
L'ADN extrait de restes anciens est dégradé en millions de morceaux,
comme un puzzle dont il manquerait un nombre considérable de pièces. Le
reconstituer fidèlement relève de l'insurmontable.
Comment créer un génome synthétique ?
Le génome reconstitué, il faudrait en faire des chromosomes
artificiels. Or, les seuls que l'on sait fabriquer contiennent 1000
fois moins de paires de bases que les chromosomes humains.
Comment obtenir un embryon viable ?
Le processus est délicat et nécessite un grand nombre d'essais chez les
mammifères. À ce jour, aucun clonage humain n'a été réussi.
Certaines sectes tentent de mettre la main sur des restes corporels du Christ pour alors le faire revivre. Mais pour croire en une telle entreprise, il faut sans cesse faire fi de la science.
Le mouvement raëlien
Les
religions et les sectes ont des points de vue qui divergent sur la
question du clonage. Depuis la naissance de Dolly, de nombreuses
sectes prirent position sur le clonage, notamment le mouvement raëlien,
un mouvement religieux athée apparu dans les années 1970. Selon la
secte raëlienne du français Claude Vorilon (Raël), la vie sur terre
aurait été créée par des extra-terrestres technologiquement très
avancés, les Elohim. C'est pourquoi les raëliens soutiennent les
recherches sur le clonage humain qui constitue pour eux un moyen
d’atteindre l’immortalité. Leur but est de produire une copie
génétiquement identique d'un être humain, puis d'accélérer la
maturation du clone (le nouveau-né passant au stade adulte en quelques
heures ou jours) et enfin de transférer la mémoire et la personnalité
de la personne clonée dans son clone. La société Clonaid est totalement
indépendante sur le plan juridique et financier du mouvement raëlien.
Cela dit, c'est Raël qui l'a fondée et elle est dirigée par Brigitte
Boisselier, évêque raëlienne et appelée par les Elohim à remplacer
Raël, selon ce dernier. Le 26 décembre 2002, Brigitte Boisselier
annonçait, à grand renfort médiatique, la naissance du premier bébé
cloné, une fille nommée Ève. Une vidéo et des preuves devaient être
montrées la semaine suivante. Brigitte Boisselier a continué à donner
des conférences de presse sans jamais apporter la moindre preuve.
Pendant quelques temps, cette supposée naissance fut placée au premier
plan de l'actualité mondiale, au centre de la polémique sur le clonage.
D'autres scientifiques ont également affirmé avoir cloné des humains,
telle qu'une équipe coréenne en 1998, ayant arrêté l'expérience au
stade 4 cellules pour des raisons éthiques évidentes. En 2001,
profitant d'un vide juridique aux États-Unis, la firme américaine
Advanced Cell Technology Inc. annonce avoir obtenu un embryon humain
cloné en vue de produire des cellules souches. Cependant, en dépit
d'une forte pression médiatique, aucune preuve de la naissance d'un
enfant cloné n'a jusqu'ici été apportée et la majeure partie des
scientifiques doutent de la véracité de cette naissance. De nombreux
raëliens auraient quitté le mouvement, se sentant victimes d'une
mystification médiatique uniquement destinée à faire de la publicité au
mouvement.
Le mouvement raëlien fut la principale secte à encourager le clonage. D'autres suivirent, mais sans pour autant prendre autant d'importance au niveau médiatique.